mardi 26 mars 2024

Perte



 


Ludovic Debeurme : la cendre et l'écume


"Les découvertes de l'enfance se feraient comme dans un laboratoire où l'on trouve ce que l'on devait trouver (...) Mais aujourdhui aurai-je ce courage  d'enfant qu'il faut pour se perdre ? (...)Je veux savoir ce qu'à perdre, j'ai encore gagné. Pour le moment je ne sais pas: c'est seulement en me faisant revivre que je vais vivre. Mais comment me faire revivre ? Comment si j'ai perdu le langage naturel ? Vais-je devoir, comme si je créais ce qui m'ést arrivé, me refrabiquer un langage ? Je vais créer ce qui m'est arrivé.  Pour la bonne raison, que vivre cela ne peut se raconter. Vivre n'est pas vivable. Je vais être obligée de composer sur la vie. Et sans mentir. Composer,  oui,  mentir, non. Composer n'est pas imaginer, c'est courir le grand risque d'accéder à la réalité. Comprendre est une création, le seul mode que je me permette. Je vais devoir m'appliquer à traduire des signaux télégraphiques, à traduire l'inconnu dans une langue inconnue, et sans même savoir à quoi correspondent ces signaux. Je parlerai dans cette langue de sommanbule qui, si j'étais éveillée, ne serait même pas un langage."    

Clarisse Lispector, La passion selon G.H. 






lundi 25 mars 2024

Équilibre

 



                                                                    Un minimun d'ordre

                         dans le grand fatras du monde

                         cela peut suffire


Paul Klee








vendredi 22 mars 2024

centre


                       

                    tout autour d'un centre

                       on a élargi la trame

                       de fils invisibles              



Photo de Joël






mercredi 20 mars 2024

Mon recours




                                                                    sous le Mont Recours

                                                                    la maison semble attendre

                                                        ce qu'on ne sait pas











 

samedi 16 mars 2024

Une traversée


 

Entre la voie fluviale et la voie ferroviaire, il y a une route où je marche inlassablement, à mon rythme. Il n’y a plus de bac pour traverser d’une rive à l’autre ou comme à Venise de traghetto. Des ponts en fer permettent d’aller d’un côté à l’autre, là où serpente la Loire, entourée des sucs, restes des très vieux volcans endormis. Sur cette terre sauvage, j’y ressens une ancienne protection. Je laisse libre cours à mes pensées qui divaguent, vont et viennent au fil de l’eau. J’essaie de traduire à travers ce paysage, un chemin intérieur ancien et toujours actif: cet inavouable non usé en nous dit Pascal Quignard, ou cette part indemne dirait Yannick Haenel. Traverser le temps, le dire autrement, parcourir son histoire, l’interpréter comme une langue ancienne, un morceau de terre indéfini, malléable, changeant suivant les crues ou les sécheresses, les paysages ouvrant des fenêtres dans la tête.

Sur ces chemins tranquilles bordant le fleuve, où l’on marche à pas lents, il y faut la solitude, pour contempler, demeurer, se mettre à l’écoute de l’eau. Elle est comme un chant, avec son ruissellement, la résonance des petites chutes sur les pierres. Une rumeur parle en mon coeur d'un bonheur lointain qui soudain se fait proche.

Si un héron se pose sur une pierre, j’y vois un signe des dieux, de ceux qui n’existent pas. Ceux que l’on porte en soi, qui sont forces de vie, qui se lisent dans les éléments, l'eau, la terre, l'air, le ciel, les arbres, les nuages, l’herbe, les petits ânes humant le  soleil, ou les hérons immobiles, ascétiques.

Le soir quand tombe l’ombre, une dernière colline éclairée accroche le regard puis elle sombre aussi dans le noir. La lune se lève ronde et claire, un dernier rai de lumière apparait, un recours, une pensée qui tient en éveil, que l'on garde en soi, que l'on répète comme un mantra pour ne pas chuter.

Parfois un livre, quelques poèmes accompagnent cette déambulation, aident à voir plus loin que le paysage, ouvre des passages vers d’autres mondes, infinis, infimes, invisibles. Quelque chose nous étreint, l’étrange sentiment du travail du temps, dans les coulées de lave figée, les maisons en pierres basaltiques noires, le feu refroidi, la forme des crêtes plissées recouvertes d’arbres. Alors soudainement, surgit l’Islande. Sur cette autre terre lointaine, se vit le temps en travail, on marche sur une terre chaude, prête à tout moment à jaillir en feu ou geysers bouillonnants, la glace et le feu forment une alliance mystérieuse. On est au cœur de la matière agissante, de la mère qui enfante. Habiter au creux des vieux volcans et rêver de l’Islande, à moins que cela ne soit l’Islande qui rêve d’une terre endormie. Je marche ainsi à la lisière de deux mondes:  en rêvant le temps s’arrête.








lundi 11 mars 2024

Lutte intérieure



 Seul en soi - le parler intérieur - sans cesse des ombres - des fantômes - discutent - crient - je ramasse des morceaux  - les empile - les organise - j'attends des fulgurances - le  bruit du vent s'infiltre dans les interstices - arbres  dépouillés - paysages désolés - dans le crâne le vent entre  aussi par des sons stridents - gémissements presque humains  ou inhumains - glacent le sang - le vent essaie de figer mes  pensées qui tourbillonnent tempètueuses - le vent énervant  - le vent le ciel gris semblent aspirer les crêtes - la  grisaille est comme limaille qui agace les nerfs - use et  cache des recoins sombres que le vent veut découvrir - qui  l'emportera - le gris et le vent t'écartèle - et tu trembles  - les deux t'écartèlent et te mêlent au jour blues sans bleu - blues sans bleu - le jour tout de même s'entrevoit - parce que tu es programmée ainsi - ne pas perdre le jour - entre la naissance et la mort  dans chaque recoin - l'accueil du jour - malgré tout - malgré la peur - la solitude - le néant - l'accueil du jour sans attente - sans vouloir - dans l'écoute fine des bruits du monde - des bruits de soi - du corps - de l'âme - de l'autre - de l'enfant - s'apercevoir que le paysage nous regarde - se tenir immobile dans l'écart poétique - le vent  ruhar - couleur blanc rosé*


*Couleur synéstésique du vent